Histoire • Son tout premier souvenir était sans aucun doute une petite mélodie, douce et réconfortante. Sa mère sûrement, qui tentait ainsi d'apaiser ses pleurs. Et cela fonctionnait. La petite était alors rassurée, et cette chanson la suivit longuement. A chaque fois qu'elle devait être effrayée, elle se remémorait la mélodie, les paroles lui échappant. Mais cela n'était pas important.
Elle se souvenait également d'une grande demeure, sous la mer. Impressionnante, pleine de couleurs, illuminée de lumière. Bien des personnes s'y rendaient, discutant avec ses parents d'une multitude de sujets, qu'elle ne comprenait pas toujours. Mais elle recevait parfois de petites friandises, si bien qu'elle était contente de ces visites.
Et puis quelque chose changea. Encore une fois, tout lui paraît flou. Il y avait son père qui tout d'un coup disparu, sa mère qui partit avec elle, quittant la belle maison, partant dans un endroit plus petit, plus sombre, loin de la surface. Cela lui fit de la peine. Elle tentait de poser des questions à sa mère, mais ne parvint pas à obtenir la moindre réponse. Il n'y avait plus de visiteurs, leurs anciens amis les méprisaient, leur demeure prit une teinte sinistre. Si bien qu'elle tenta de redonner le sourire à sa mère, de la faire rire parfois, par ses remarques ou ses actes. Ce n'était pas simple, mais elle y parvenait parfois. La vie continuait, non ?
Et puis les souvenirs se font plus précis. Adelheide se souvient de l'école, où elle apprend tant de choses intéressantes. Lire, écrire, compter... Sans oublier l'histoire de l'île, et celle de la surface, plus rarement. Tout ceci l'enchante. La jeune sirène veut en savoir plus. Elle aimerait savoir ce qui se cache à la surface, et se pose toutes sortes de questions sur les hommes. Pourquoi n'avaient-ils pas de nageoires, mais seulement des jambes, pourquoi n'apprenaient-ils pas à respirer sous l'eau, pouvaient-ils nager dans les airs ? Rapidement, elle prit l'habitude de questionner les hommes-poissons qui avaient voyagé là-bas, dans le monde des humains. Leurs récits l'enchantaient. Sans doute parce qu'ils ne parlaient pas de tout. Ils ne parlèrent jamais de l'esclavage, de la condition des hommes-poissons là-haut, de la violence des hommes, de la piraterie et des troubles révolutionnaires. Si bien que la vision d'Adel fut biaisée, idéalisant ce monde, rêvant de s'y rendre un jour.
Elle en eut l'occasion. Malheureusement pour elle.
Pour réaliser ce rêve, elle décida de s'entraîner sans relâche. A nager toujours plus vite, plus longtemps, redoublant d'efforts. Elle se mit à la recherche de quelqu'un pouvant lui apprendre les rudiments du combat aquatique. En tant que sirène, elle ne pouvait pas apprendre les techniques au corps à corps des hommes-poissons, se contentant des techniques à distance, demandant de manipuler l'eau. Elle prit un long moment avant de dénicher quelqu'un acceptant de la prendre sous son aile. Il s'agissait d'un vieux triton, qui en voyant la motivation d'Adel fut convaincu, et commença son entraînement. Au départ, ce fut difficile pour la petite demoiselle. Elle n'en avait pas parlé à sa mère, craignant sa réaction, s'entraînant en secret, après ses cours. Elle n'était pas une élève bien douée au début, ne parvenant pas à comprendre comment manipuler l'eau, et elle ne parvint qu'à un faible résultat au bout d'un long moment. Cependant, son professeur l'encouragea à ne pas baisser les bras, à continuer à s'entraîner, et la jeune sirène fut ravie de voir que ses efforts avaient finalement payés.
Mais chez elle, les choses changèrent radicalement. Son père était de retour dans leur foyer, et l'atmosphère devint plus pesante encore. Ses parents se criaient souvent dessus, se rejetant une faute qu'Adelheide ne comprenait pas, ne se préoccupant guère de leur fille dans ces moments là. Elle trouva bien du réconfort dans les livres, parlant de la surface et des trésors qu'on pouvait y trouver, espérant toujours s'y rendre un jour. En attendant, elle continua son entraînement. Formant de petites gouttes d'eau, sous l'oeil attentif de son tuteur, qui la laissait maintenant s'exercer seule à cet art difficile, la corrigeant parfois. Elle n'était pas encore capable de blesser quelqu'un ou de se défendre ainsi, mais faisait de son mieux pour progresser.
Un jour, elle s'y rendit. Après une énième dispute de ses parents, qui la convainquit de partir un moment de chez elle, de cette atmosphère lugubre. Elle nagea aussi rapidement que le lui permettait sa nageoire, passant à côté de créatures marines, qui la regardèrent d'un air blasé, guère intéressés par une si petite chose. Elle était si impatiente de voir la surface qu'elle fut au départ déçue par le spectacle qui l'attendait: un ciel, grand, gigantesque, saupoudré de nuages cotonneux. Et puis la mer, qui s'étendait partout, calme. Derrière elle, une montagne, gigantesque, dont elle ne voyait pas le sommet. Tout ceci était impressionnant, bien entendu. Mais ce que la jeune sirène voulait voir, c'était des humains. Des navires. Des villes. Or, il n'y avait rien de cela.
Déçue, elle retourna chez elle, et chercha à connaître une île proche, afin de s'y rendre. On l'avait prévenu, que les sirènes étaient rares là-bas, et qu'il fallait faire attention. Et pourtant, elle partit à nouveau à la surface. Plusieurs fois, en plus de cela. Partant chaque jour un peu plus loin, jusqu'à atteindre l'île la plus proche. Elle se contenta d'observer de la mer, prête à partir en cas de danger, et fut stupéfaite par ce qu'elle découvrit: c'était coloré, amusant, et elle crut même apercevoir une fête foraine. Elle ne resta pas bien longtemps la première fois, de peur d'être découverte, mais s'attarda un peu plus les jours suivants. Elle le rencontra alors. Un jeune humain, qui devait avoir son âge, et qui l'avait repérée. Il s'était approché timidement d'elle, ne voulant pas l'effrayer, et ils avaient fini par converser. La jeune sirène était un peu méfiante au départ, puis finit par s'habituer à son nouveau compagnon. Elle le trouvait amusant, l'emmenait parfois nager un peu plus loin, bien que triste de ne pas pouvoir le rejoindre sur la terre ferme.
Ils firent alors une erreur des plus regrettables: le garçon lui proposa de la porter sur son dos, tout en l'habillant d'une longue jupe, pour que sa queue ne soit pas visible. Adelheide accepta, et ils passèrent alors une journée des plus amusantes. Ils voulurent retenter l'expérience, plusieurs fois. Mais un jour, tout ne passa pas comme prévu. Des hommes les attendaient, et ils attrapèrent la sirène. Celle-ci ne sut jamais si son ami l'avait trahi, ou s'ils avaient joué de malchance. En tout cas, elle fut vendue aux enchères. A un riche homme, venue de mers lointaines. Elle eut la chance de ne pas être achetée par des dragons célestes. Sans quoi son sort aurait été bien différent.
Ses cris déchirants ne changèrent rien: elle fut enchaînée sommairement - elle était si jeune, comment pouvait-elle briser ses liens ? - puis conduite sur un navire. Pas de marquage au fer: son propriétaire ne souhaitait pas l'abîmer. Pour le moment en tout cas.
Elle voyagea. Longtemps. Refusant de se nourrir, de communiquer, restant prostrée dans son coin. Elle se sentait stupide. En voulait aux humains. Elle était comme eux, un être vivant, non ? Pourquoi lui faisait-on subir cela ? Non, la jeune sirène n'arrivait pas à le concevoir.
Puis une tempête survint. Elle parvint à s'échapper, de justesse, regardant le navire couler un peu plus loin avec une joie féroce. Ils n'avaient eu que ce qu'ils méritaient. Elle était libre. Et dans un endroit inconnu. Elle nagea longuement, jusqu'à ce que sa nageoire refuse de bouger, espérant trouver un endroit où se reposer. C'est ainsi qu'elle échoua sur une petite île de West Blue.
La sirène eut la chance d'être recueillie par un charmant couple, avant même que d'autres personnes, malintentionnées, ne l'aient trouvée. Ils firent de leur mieux pour guérir les petites égratignures qu'elle avait pu se faire pendant sa nage, tout en s'occupant d'elle afin qu'elle soit à nouveau en forme. Cela prit une bonne semaine, Adel se méfiant de ces humains, réfléchissant à un moyen de leur échapper. Mais elle fut peu à peu convaincue de leur gentillesse, et du fait qu'ils ne la trahiraient pas. Aussi se laissa-t-elle peu à peu apprivoiser, découvrant enfin des humains tels qu'elle les avait imaginé étant plus jeune, sympathiques, vivant de leurs plantations, à l'écart d'un petit village. Ils étaient déjà âgés, et paraissaient avoir vécu des histoires assez extraordinaires. Ils lui racontèrent assez souvent leurs aventures passées, ayant beaucoup voyagé dans leur jeunesse, à travers bien des mers, étant des sortes de pirates pacifiques. La sirène en fut impressionnée, et se prit d'affection pour eux. Elle commença à reporter son départ, aimant passer du temps en leur compagnie, son foyer ne lui manquant que peu. De toute façon, il lui faudrait d'abord effectuer tout le trajet en sens inverse, ce qui promettait d'être compliqué.
C'est ainsi qu'elle passe plusieurs années en leur compagnie. Leurs forces déclinaient, si bien qu'elle fit de son mieux pour leur venir en aide, même si la sirène ne pouvait pas marcher comme eux sur la terre ferme. Ils possédaient bien des connaissances, et commencèrent à apprendre à la demoiselle les rudiments de la médecine. Une science toujours utile selon eux, avec laquelle elle pourrait par la suite venir en aide aux autres. Au départ, Adelheide était un peu dubitative. Elle doutait fortement de pouvoir soigner des humains. D'un autre côté, tous n'étaient pas à mettre dans le même panier. Si bien qu'elle se laissa convaincre et commença son apprentissage. En parallèle, elle continuait à s'entraîner au karaté des Hommes-Poissons, commençant enfin à obtenir des résultats corrects, enchantant ses hôtes qui n'avaient jamais vu de choses pareilles.
Puis leur santé déclina, et ils s'éteignirent. Adel en fut triste, même s'ils savaient tout deux que leur heure était arrivée, et qu'ils en avaient longuement parlé avec la sirène. Celle-ci décida alors de partir de l'île, d'aller explorer les environs par elle-même. Elle n'était plus la petite chose perdue, idéalisant le monde des hommes. Désormais, elle pouvait se débrouiller par elle-même. Et c'est dans les premiers mois de son voyage qu'elle tomba sur un équipage pirate...